Ces Barbares étaient-ils vraiment barbares ?
Une situation-problème qui peut tout aussi bien être animée en cycle 3 qu’en cycle 4.
- Les concepts centraux : rencontre, altérité et civilisation.
- Les objectifs notionnels : relations entre Romains et Barbares, effondrement de l’Empire romain.
- LES REPRESENTATIONS DES ELEVES
Les représentations des élèves concernant les Barbares sont tout à fait uniformes et péjoratives.
Si Barbares était le nom donné par les Grecs à tous les peuples restés en dehors de leur civilisation, quand les Romains s’assimileront d’eux-mêmes aux Grecs, ils reprendront ce terme à leur compte pour tous ceux qui ne sont pas Romains. Si bien que dès le début, le Barbare c’est l’étranger et, symétriquement, les étrangers sont des barbares. Autrement dit, l’adjectif et le substantif désignent tour à tour les mêmes personnes. Le Barbare-étranger est par nature dans un état de barbarie, dans un état « étranger » à la civilisation ; il est déshumanisé, bref il n’est plus un homme.
Du coup, quantité de peuples sont amalgamés : on continue à appeler Barbaresles Goths, les Vandales, les Burgondes, les Suèves, les Huns, les Alains et les Francs. Cette généralisation met dans le même sac des peuples qui ont joué des rôles très différents par rapport à Rome. Certains ont été des menaces puis des alliés (les Goths), d’autres ont réellement menacé Rome (les Huns). Mais du coup deux autres problèmes se posent.
Comme ce terme recouvre des peuples fort divers, qui sont concernés à plusieurs siècles d’écart, la représentation du terme d’invasion est interrogée. Car le terme signifie un phénomène brutal, soudain exceptionnel. Le concept de temps se trouve éminemment contracté pour que soit nommée invasion un phénomène qui s’étend sur plus de 5 siècles !
Peut-on dès lors continuer à parler d’effondrement de l’Empire romain quand il vacille depuis des siècles, peut-on également désigner les seuls Barbares comme responsables quand ces Barbares sont aussi divers, quand certains d’entre eux ont défendu l’Empire et que celui-ci met autant de temps à s’effondrer ?
Le dernier concept qui se trouve interrogé au travers des représentations des élèves, c’est celui de causalité. La causalité dont ils usent est assez banale mais elle ne doit pas, à notre avis, satisfaire l’enseignant en histoire. La causalité est toujours maniée comme unique, linéaire et extérieure. C’est à dire que les seuls responsables sont les Barbares, auteurs d’un phénomène apparemment simple : l’invasion que les Allemands nomment « Grandes Migrations ». Enfin, les élèves adoptent ainsi une causalité où le responsable est toujours l’autre, l’extérieur voire l’étranger.
2. LE POINT SUR LA QUESTION
En réalité, ces représentations et ces utilisations des concepts de temps, d’altérité et de causalité ne sont pas propres aux élèves. Elles traversent la tradition historiographique qui a abondamment utilisé les chroniques romaines et catholiques. Ainsi, aujourd’hui les historiens se posent un certain nombre de questions qui peuvent se résumer ainsi :
- Les Barbares étaient-ils vraiment des barbares au sens usuel du terme ?
Les cultures des peuples barbares étaient certainement fort différentes de celles des Romains. Il faut prendre conscience que cette différence est transformée en infériorité par les chroniqueurs romains. A l’arrière plan, se posent des problèmes religieux, particulièrement avec les Wisigoths. Beaucoup de peuples barbares sont ariens. Quand ils s’installent, ils remplacent le clergé catholique par un clergé arien. Dès lors, comment prendre pour argent comptant ce que nous racontent les chroniqueurs romains et catholiques ?
- Si les Barbares ont été intégrés à l’Empire romain, donc romanisés, dans quelle mesure les Romains ont-ils été « barbarisés » ?
La société romaine n’est plus au 5esiècle ce qu’elle était 2 siècles auparavant. L’élément barbare y est présent, dans l’armée, dans la paysannerie, et même dans ce qu’on peut appeler l’aristocratie. Une société nouvelle se crée en empruntant aux différentes cultures qui se côtoient, ou plutôt des sociétés nouvelles s’inventent, fort différentes d’un bout à l’autre de l’empire. Il y a dès lors comme une escroquerie intellectuelle à faire croire que c’est l’Empire romain du 1ersiècle qui s’effondre en 476.
La citoyenneté romaine est accordée facilement depuis Caracalla, à partir de 212. Les empereurs Sévères (début 3e siècle) sont africains, Philippe (244-249) est arabe, Constantin (306-337) est illyrien. C’est Tertullien, empereur africain, qui invente le concept de romanité à la fin du 2esiècle. Des peuples barbares se verront le droit de s’installer sur les frontières de l’Empire, avec pour mission de les surveiller. Le statut de soldats fédérés, consenti et voulu par les empereurs romains s’accompagne de la création de royaumes romano-barbares.
- Les Invasions barbares sont-elles vraiment la cause, la seule cause, la cause prépondérante de la chute de l’Empire romain ?
Dès lors, il apparaît simpliste de désigner les seuls Barbares comme responsables de la « chute » de l’empire. Il existe d’autres causes à la disparition de la structure politique de l’Empire, des causes antérieures à ce qu’il est convenu d’appeler les invasions, et des causes extérieures aux Barbares, qui sont à rechercher dans l’évolution de l’Empire, son expansion, etc.
Il est évident que ces mutations dépassent de loin ce qu’il est possible de faire avec des élèves de cycle 3. Mais il est nécessaire de soulever avec eux le problème. A vouloir enseigner des pseudo-vérités simplistes, on forme à tout sauf à l’esprit critique.
Et Clovis ? Roi des Francs ! Certains manuels de 5efont encore la coquille (mais en est-ce bien une ?) qui consiste à le présenter comme roi de France ! On peut rapidement dire que les mêmes ambiguïtés existent dans l’historiographie à propos de Clovis qu’à propos de Vercingétorix. Il faut absolument faire la part entre l’histoire et une espèce de besoin impérieux d’en faire un héros national, fondateur de la France et de la France chrétienne.
Une déclaration célèbre du général de Gaulle est révélatrice à cet égard, dans laquelle il dit en substance que seul compte Clovis parce qu’il est le premier roi chrétien et que son pays est un pays chrétien. C’est aller vite en besogne et oublier que seuls les Francs n’étaient pas chrétiens parmi les Barbares. Les autres étaient déjà chrétiens mais ariens et divergeaient avec les Romains sur la nature divine ou non du Christ. Les Francs choisissent de s’appuyer sur l’Eglise en place qui avait le soutien du peuple gallo-romain. Les Germains ariens étaient vécus comme une aristocratie supérieure et différente, et cette perception rappelait sans cesse l’étroitesse de l’assise de leur pouvoir.
La conversion des Francs leur permit donc de se présenter comme les libérateurs des provinces romaines et de leurs évêques. En 516, les Burgondes imitèrent les Francs avec succès en se convertissant également de l’arianisme au catholicisme. D’une certaine manière, l’Eglise catholique a préféré s’allier avec un païen franc pour reconquérir le terrain perdu face à l’aristocratie barbare et arienne. On ne peut faire semblant d’oublier que la conversion des Francs avait aussi des motivations tactiques et politiques.
Ces considérations, si elles ne peuvent être partagées avec des élèves du cycle 3, doivent cependant nous faire tempérer une position répandue dans les manuels.
Durée | ORGANISATION |
MISSION |
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La séquence a pour but que les élèves s’interrogent sur une évidence : les Barbares auraient été barbares. L’enseignant abordera aussi avec eux les problèmes que rencontre la science historique quand elle n’a à sa disposition que les sources d’un des camps, et qu’elle l’oublie ! | |||
15 m | La classe est partagée en plusieurs groupes qui reçoivent des textes « romains » renforçant l’image de barbarie attribuée aux Barbares. Cette phase doit être rapide | A l’aide des documents qui vous ont été distribués, faites un portrait des Barbares que vous présenterez au reste de la classe sous la forme d’un dessin, d’un texte, d’un mime ou encore d’un jeu de rôle. | |
15 m | Chaque groupe présente rapidement le portrait des Barbares contenu dans son texte. Cette présentation se fait sous la forme souhaitée : dessin, court texte ; mime, jeu de rôle. | Présentez votre portrait : chacun écoute et compare avec son portrait. | |
20 m | Chaque groupe repart au travail avec un texte différent présentant un contrepoint au premier. | C’est la même consigne que tout à l’heure, faites un nouveau portrait en insistant sur ce qu’il y a de différent. | |
20 m | Présentation en grand groupe, discussion sur les raisons de ces éclairages contradictoires. | A la fin des présentations, l’enseignant attire l’attention des élèves sur l’identité des auteurs des textes de la première série. Cette constatation lui permet d’enchaîner sur le magistral de synthèse. | Même consigne. |
5 m | Magistral de l’enseignant (voir le point sur la question), distribution d’une fiche de synthèse. | Synthèse de l’enseignant en formulant avec les élèves les raisons des différences entre les deux séries de texte. |
3. INDICATIONS SUR L’ANIMATION
L’animation de cette séquence ne présente pas vraiment de différences par rapport aux précédentes situations de lecture avec mission. Précisons que l’enseignant doit attirer tout au long des travaux de groupe comme des moments collectifs d’exploitation sur les identités différentes des documents de la première et de la seconde série. Le concept travaillé ici est celui de critique de témoignage[1]. Il ne s’agit en aucune façon de substituer une vision idyllique des Barbares à une vision particulièrement noire, mais de faire prendre conscience aux élèves que la vérité ne saurait être le contraire d’une contrevérité.
Pour le magistral, l’enseignant peut introduire le rôle de Clovis grâce à une lecture d’un manuel scolaire, en tenant compte du fait que nous ne connaissons Clovis qu’à travers Grégoire de Tours pour l’essentiel. Ce chroniqueur catholique écrit 70 à 75 ans après ce qu’il raconte ! Apprenons à nos élèves que le chroniqueur de l’Antiquité ou du Moyen Age n’est pas un historien. Son but n’est pas de rapporter les événements dans une analyse théorique mais de raconter simplement, en frappant au besoin l’imagination de son lecteur.
4. DOCUMENTS DE TRAVAIL :
4.1. Documents renforçant l’image négative des Barbares
Document 1 : une lettre d’un évêque de Lyon, Sidoine Apollinaire.
Je vis au milieu de bandes de barbares chevelus. Je dois supporter leur langage et les chansons d’un Burgonde gavé qui s’enduit les cheveux de beurre rance. Heureux tes yeux et tes oreilles, heureux aussi ton nez, toi qui n’as pas à subir l’odeur de l’ail ou de l’oignon infecte que renvoient dès le petit matin leur cuisine.
Document 2 : une lettre d’évêque à un autre évêque et parle des Barbares
Avec quelle soudaineté la mort a pesé sur le monde entier ! Combien la violence de la guerre a frappé les peuples ! Ce qui n’a pas été dompté par la force l’a été par la faim. La mère a succombé misérablement avec ses enfants et son époux. Dans les villes, les domaines, les campagnes, çà et là le long des routes, c’est la mort, la souffrance, la destruction, l’incendie, le deuil.
Document 3 : une description des Barbares faite par un Romain
Ils ont les membres trapus et vigoureux et une nuque puissante mais ils sont tellement difformes et mal faits qu’on pourrait les prendre pour des bêtes à deux pattes. Leur seule nourriture se compose de plantes sauvages et de chair d’animaux de toutes sortes qu’ils réchauffent entre leurs cuisses et sur le dos de leurs chevaux. Ils sont vêtus de lin et de peaux de rats.
4.2. Documents relativisant l’image négative des Barbares
Document 1 : une description des Barbares (Huns)
De nombreux dessins existent dans les livres d’histoire vulgarisateurs. Dans les manuels, ils sont plus rares, néanmoins on pourra utiliser le document 3 dans Histoire Nathan, cycle trois, coll. Gulliver p. 66. Bien évidemment il s’agit d’une reconstitution. Autrement, les reproductions que nous avons sont toutes d’origine romaine. Elles sont soit défavorables aux Barbares, soit trop naïves : les élèves risqueraient de les prendre pour argent comptant.
Document 2 : des Barbares travaillent pour des propriétaires romains
C’est donc pour moi que labourent à cette heure les Barbares. Ces pillards peinent à travailler sans arrêt mes terres, peuplent mon marché du bétail qu’il vient vendre. Toutes les terres qui demeuraient abandonnées, reverdissent grâce au travail d’un Barbare.
Document 3 : des Barbares défendent l’Empire romain
On peut lire sur la tombe d’un barbare l’inscription suivante : Je suis Franc, mais soldat romain.
Un roi barbare écrit à l’Empereur la lettre suivante :
Nous nous réjouissons de vivre sous le droit romain, que nous souhaitons défendre les armes à la main… A quoi bon avoir repoussé le désordre barbare, si ce n’est pas pour tirer des lois romaines nos règles de vie ?
5. SUITE EVENTUELLE
Notre langue a été considérablement enrichie par celles des peuples dits “ barbares ”. Voici une liste de mots qui sont utilisés couramment dans le français :
Bernard Gérard Geneviève Hugo Charles Josseline Thierry Mathilde Godefroy Guy falaise marais fange bois bûche beignet soupe housse poche fauteuil broder broyer gratter téter lécher champion garder regarder lorgner grogner chouette crapaud cruche flacon hanap grappe blé framboise roseau mésange héberger frais revêche félon riche hameau bourg fief maçon maréchal marquis guerre trêve flèche rechigner trépigner guérir choisir éblouir
L’enseignant peut demander aux élèves de les utiliser tous sans exception ou presque pour écrire un petit texte. Ce travail peut se faire en groupes, avec l’aide d’un dictionnaire, rédigé au propre sur une affiche et lu aux autres groupes. Un travail[2]analogue peut être fait avec les mots arabes, hors de cette situation. Il peut être utile de faire classer ces mots afin que les élèves s’aperçoivent dans quels domaines les peuples germaniques ici, les Arabes par ailleurs, ont apporté des mots à la langue qui deviendra le français.
6. BIBLIOGRAPHIE
Livres
- Amalvi Ch., 1989, De l’art et de la manière d’accommoder es héros de l’histoire de France, coll. L’aventure humaine, Albin Michel.
- COLLECTIF, 1998 juin, « Dossier Barbares », dans L’Histoire, n° 222, p. 32-54.
- Kazanski M. et Pilet C., 1998 juin, « L’intégration des Barbares dans la société gallo-romaine », dans Pour la Science n° 248, p. 78-84.
- Walter H., 1997, L’aventure des mots français venus d’ailleurs, Paris, Laffont.
- Image à la Une : © Eugène Delacroix (1847). Détail : Attila suivi de ses hordes barbares foule aux pieds l’Italie et les Arts.
Sitographie