François Durpaire : Nos ancêtres ne sont pas gaulois ! Contre-histoire de France. Le nouveau roman national. Editions Albin Michel. 310 pages. 2018.
Disons tout de suite que le contenu de cet ouvrage ne correspond pas du tout à son titre : « Nos ancêtres ne sont pas gaulois ». Les Gaulois n’occupent en réalité que quelques lignes dans cet essai. Non, il s’agit pour l’auteur, comme l’indique le sous-titre « Contre-histoire de France », de proposer un nouveau roman national, ce qui est confirmé dans le bandeau de la page de couverture.
Pour ceux qui m’ont déjà lu, vous vous doutez que l’expression « roman national » ne remporte pas mon adhésion : l’histoire ou la construction historique n’a rien à voir avec le roman ou l’épopée ; l’adjectif national nous renvoie à des contenus nationalistes avant la Grande guerre ou racistes qui justifiaient la colonisation.
Bien évidemment, F. Durpaire ne s’inscrit pas dans cette perspective. En réalité, l’auteur souhaite que le récit de l’histoire de France s’infléchisse selon trois axes pour mieux correspondre à ce qu’est la France aujourd’hui.
- En tout premier lieu, il faudrait que l’histoire se féminise pour rendre aux femmes leur juste place dans la construction de ce « roman national ».
- En deuxième lieu, il faudrait qu’elle se mondialise en privilégiant les interdépendances entre la France et d’autres mondes dans lesquels elle a puisé des femmes, des hommes et des idées.
- En troisième lieu, il faudrait réparer l’occultation des histoires régionales qui s’est faite lors de la construction de ce « roman national » que les historiens de la IIIe République ont voulu univoque, pensant qu’ainsi la construction d’une identité nationale s’en trouverait facilitée.
A notre avis, ces trois trajectoires ne concernent pas seulement l’histoire de France mais celle de tous les pays.
Après avoir présenté ces trois inflexions, F. Durpaire déroule une galerie de nos ancêtres plutôt convaincante pour ce qui est de la « mondialisation » car il est vrai que les programmes d’histoire taisent souvent les interdépendances entre les cultures. Nous sommes certainement prisonniers de notre seule vision européenne du monde. Pour la seconde inflexion, la féminisation, l’effort de F. Durpaire est moins réussi. Certes le récit national a mis en lumière les grandes figures politiques (qui auraient à elles seules fait la France !) ce qui a eu pour effet de minimiser le rôle même de la femme. Mais son statut social ne lui ayant pas permis de jouer un rôle politique très important, la tâche de la féminisation des programmes n’est vraiment possible que dans l’histoire récente de la France. Quoi qu’il en soit il est indispensable de le faire, d’une part quand cela est possible et, d’autre part, il faut certainement envisager une histoire plus sociale qui permette de mettre en lumière le rôle joué par les femmes. Là ou F. Durpaire m’a le moins convaincu, c’est dans la troisième inflexion, celle de la régionalisation. Les exemples choisis sous forme d’encadrés évoquent ici un musée régional, là le cas particulier de Mayotte, et ne permettent pas d’imaginer ce que pourrait être cette inflexion dans les programmes et encore moins dans notre pratique.
Et c’est bien là une des tâches qui resterait à accomplir, celle de la traduction dans des programmes de ces trois nouvelles perspectives pour les rendre opérationnelles.
Là où le bât blesse, c’est que devant la parcellisation du savoir (conséquence d’un recours massif à Internet) que redoute l’auteur, celui-ci pense que le récit national est la seule parade qui permette de donner un sens à l’histoire nationale.
Les expressions « histoire relation », « histoire-récit », « roman national » sont récurrentes dans le livre. Ce que nous propose F. Durpaire, c’est un récit national de plus. Plus humaniste peut-être, plus attentif aux rôles joués par les femmes ou les étrangers sans doute mais un récit tout de même. La notion de points de vue divergents ou contradictoires portés sur les événements et sur les réalités est absente. Nous avons déjà montré que cette absence de points de vue contradictoire conduisait à faire l’impasse sur l’élève, ne lui permettait que rarement de construire du sens à l’histoire enseignée comme allant de soi. L’auteur ne perçoit pas qu’il propose de remplacer un récit désuet par un autre plus moderne mais univoque auquel l’élève ne pourra s’identifier que difficilement. Le récit national aura changé de teneur mais le rapport que l’élève devra entretenir avec lui sera passif sans dynamique aucune, sans qu’il puisse se construire des outils d’interprétation du monde dans lequel il est immergé. Sans que son esprit critique ne s’exerce. Et c’est bien là l’une des difficultés majeures : comment faire se construire un esprit critique au travers d’un « roman national » univoque auquel il fut adhérer sans restriction aucune ?
Le but central de l’enseignement de l’histoire n’est pas tant la transmission d’une mémoire fut-elle plurielle mais la déconstruction / reconstruction des outils conceptuels des élèves afin que le présent dans lequel ils sont immergés leur devienne intelligible. L’histoire permettant un détour par le passé pour se construire des outils d’interrogation du présent. Car, en définitive, la seule préoccupation des historiens, c’est bien le présent dans lequel ils sont immergés. Il faut dire que c’est seulement dans la conclusion que l’auteur se pose la question de l’enseignement de l’histoire plus directement et très rapidement.
Cette limite n’empêche pas le livre d’être enrichissant car, même après trente ans d’efforts pour prendre à contrepied l’histoire officielle et les représentations qu’elle véhicule, nous avons beaucoup appris. La lecture du livre de François Durpaire intéressera aussi bien le citoyen que que l’enseignant d’histoire.