- Concepts : causalité, point de vue, complexité.
- Notions : Seconde guerre mondiale, propagande, relations internationales.
- Niveaux : Terminale de lycée, formation d’adultes (doit être remaniée pour le collège)
La photographie mise en avant montre l’explosion de « Fat Man » à Nagasaki, le 9 août 1945, trois jours après Hiroshima. Elle rasa la moitié de la ville de Nagasaki.
1. Tout le monde a la réponse !
Posez donc la question à des lycéens, à des étudiants ou à des enseignants, même professeurs d’Histoire ! La réponse est unanime ou presque ! Nous ne donnons ici que quelques exemples, mais ces réponses constituent plus de 90% des réponses que nous avons récoltées :
- Mettre fin à la puissance japonaise et ainsi mettre fin à la seconde guerre mondiale
- Pour conclure la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont lancé une bombe atomique sur une ville du Japon, Hiroshima.
- Les Alliés veulent vite gagner la guerre. Les Américains jettent deux bombes atomiques sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki.
- Les forces de l’Axe sont tombées avec elles (les deux bombes d’Hiroshima et de Nagasaki).
- Les Etats-Unis pour terminer la guerre ont lancé une bombe atomique sur Hiroshima.
- Une action de force pour que le conflit s’achève.
Quelques soupçons ou réticences éparses (à peu près 5% des réponses) :
- Les Etats-Unis ont lancé cette bombe pour démontrer leur puissance.
- Les Etats-Unis ont lancé la bombe d’Hiroshima pour expérimenter cette nouvelle arme.
- Les Alliés prétendent que la bombe atomique a évité des morts supplémentaires.
Résumons ces représentations en donnant à voir au lecteur comment les résumés des manuels d’histoire pour des lycéens traitent la question :
À portée des bombardiers américains, le Japon subit des bombardements massifs. La résistance de ses troupes et de la population fait craindre de durs combats : l’état-major américain estime que la conquête du Japon pourrait coûter un million d’hommes. C’est pourquoi deux bombes atomiques sont lâchées sur Hiroshima et Nagasaki les 6 et 8 août 1945. Le même jour, l’URSS déclare la guerre au Japon comme cela avait été décidé à la conférence de Yalta, en février 1945. Devant la puissance terrifiante de l’arme atomique et l’attaque soviétique, le Japon cesse le combat. La capitulation est signée le 2 septembre 1945. La Seconde Guerre mondiale est terminée.
Manuel de Terminales, sous la dir. de J. -M. Lambin, 1998, Hachette, p. 32.
2. Deux interprétations de l’événement
Mais il y a parfois plus étonnant : un écart important entre le texte de la leçon et le dossier proposé. Soulignons qu’il n’est pas certain que les enseignants prennent le temps de faire travailler leurs élèves sur le dossier. Nous avons déjà étudié ce phénomène qui se rapporte, d’une part, au rôle des documents dans les manuels d’histoire (rôle propre, rôle par rapport aux autres documents et rôle par rapport au texte de la leçon) et, d’autre part à une conception de l’Histoire où la contradiction doit être éliminée afin de pouvoir produire un texte narratif cohérent d’où toute réflexion sur les concepts en jeu (ici , celui de cause) est évacuée.
les documents qui suivent sont extraits d’une page du manuel d’histoire Terminales, 1998, coll. J. Marseille, Nathan. Elle me paraît symptomatique de l’évacuation dans le texte de la leçon de toute problématique, et, à n’en pas douter d’une incapacité à penser que la réalité historique n’est pas une suite de faits qui s’enchaîneraient dans une logique même complexe.
La leçon est telle que nous avons l’habitude de la rencontrer dans les manuels, synthétique à souhait, cohérente, déroulant une chaîne causale linéaire et exogène et par-là même, forcément simpliste. Le paragraphe consacré à la bombe d’Hiroshima suit un paragraphe où sont cités les kamikazes, ce qui suggère que la résistance des Japonais était partout résolue voire fanatique. Rien n’est dit sur le fond (pas plus dans le dossier d’ailleurs) à propos du fait que les Autorités japonaises faisaient des tentatives de pourparlers, depuis plusieurs mois déjà.
Dans les extraits du dossier. Nous avons enlevé les images et le témoignage d’un médecin japonais qui assiste impuissant à la mort différée de dizaines de personnes. Le dossier ne joue que sur un seul plan : étant données les conséquences meurtrières des deux bombes, était-il vraiment nécessaire de les utiliser ? Autrement dit, les dirigeants américains qui ont pris cette décision ne savaient pas ou ne maîtrisaient pas ce qu’ils faisaient. Rien n’est vraiment dit sur une décision politique qui aurait consisté à couper l’herbe sous les pieds des Soviétiques. Le seul document qui avance que les experts américains auraient pu (volontairement ?) se tromper, est le document de Raymond Aron.
Texte de la leçon
C . La bombe atomique a raison du Japon
Dans le Pacifique, les soldats japonais se défendent jusqu’au bout. Presque tous choisissent d’être tués sur place plutôt qu’être faits prisonniers. Des kamikazes lancent leurs « avions suicide » sur les navires américains dont plus d’une centaine sont coulés ou endommagés. La conquête sanglante d’Okinawa en juin 1945 met les villes japonaises, et notamment Tokyo, à la merci des bombardiers américains qui lancent des raids particulièrement meurtriers.
Harry Truman, qui vient de succéder à Roosevelt décédé le 12 avril 1945, prend une décision capitale : estimant que la conquête de l’archipel nippon se traduirait par des pertes américaines très lourdes et se défiant peut‑être de la progression des Soviétiques en Asie, il donne l’ordre de lancer sur deux cités japonaises les deux bombes atomiques opérationnelles. Les 6 et 9 août, Hiroshima puis Nagasaki sont presque entièrement rasées. Redoutant la disparition de la nation japonaise, l’empereur Hiro‑Hito rend le 14 août 1945 un arbitrage décisif : le 2 septembre, sur le cuirassé Missouri, la reddition officielle des troupes japonaises, qui consacre sur le papier la fin de la Seconde Guerre mondiale, est signée.
Extraits du dossier
Doc. 4. Intensité d’attaque et résultats (chiffres indicatifs).
Hiroshima Nagasaki Tokyo
Nombre d’avions 1
1 279
Charge explosive
bombe atomique bombe atomique 1667 t de bombes ordinaires Densité de population par km2 14000
25000 50000
Surface détruite en km2 1.8
0.7 6.1
Tués et disparus 70 – 80000
35 – 40000 83600
Blessés 70000
40000 102000
Taux de mortalité par km2 détruit 5800
7700 2000
Nombre de victimes par km2 12000
16500 4500
Doc. 5. Rapport de l’État‑Major américain
Au moment de l’explosion, l’énergie a été libérée sous forme de lumière, de chaleur, de radiations et de pression. La bande entière des radiations, depuis les rayons X et gamma, les ultraviolets et les rayons visibles, jusqu’à la chaleur rayonnante des infrarouges, se propagea à la vitesse de la lumière. Une onde de choc, créée par l’énorme pression, se forma presque instantanément autour du point d’explosion mais se déplaça plus lentement, approximativement à la vitesse du son. Les gaz surchauffés qui constituaient la boule de feu primitive s’étendirent et montèrent plus lentement encore. […] L’éclair ne dura qu’une fraction de seconde, mais son intensité fut telle qu’il causa des brûlures du troisième degré sur la peau humaine non protégée dans un rayon d’un kilomètre et demi. […] Dans le voisinage immédiat du point zéro (point du sol se trouvant exactement au-dessous de l’explosion), la chaleur carbonisa les cadavres et les rendit méconnaissables.
Doc. 6. La première intervention publique de Truman, radiodiffusée le 10 août 1945.(Texte publié plus loin)
Doc. 7. Éditorial d’Albert Camus, Combat, le 8 août 1945.
Le monde est ce qu’il est, c’est‑à‑dire peu de chose. C’est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d’information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend. En effet, au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût. La vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.
Doc. 8. Le jugement de Raymond Aron, Les Guerres en chaîne, Gallimard, 1951
Les deux hommes qui ont pris la décision d’employer les deux premières bombes atomiques ont agi de bonne foi, ils croyaient sauver des vies humaines (un débarquement de vive force dans les îles japonaises, aurait pu coûter, disent les experts américains des centaines de milliers de morts). Il est difficile de ne pas reconnaître après coup qu’ils se sont trompés. En renonçant à la formule de capitulation sans condition ou simplement en répondant avec plus de rapidité aux avances, multipliées depuis plusieurs mois par l’empereur, on aurait pu mettre fin à la guerre sans bombe atomique et sans intervention soviétique qui hypothéquait la victoire.
Il est dommage que l’ossature du cours ne soit pas le dossier, il est dommage que rien ne soit prévu pour que les contradictions propres à la situation et particulières à chacun des belligérants ne puissent être appréhendées par les lycéens de Terminales ! On en revient encore à l’analyse que les finalités réelles de telles pratiques ne sont pas la formation de la pensée, de l’esprit critique ou de la citoyenneté. Il s’agit de s’intégrer à la société en s’appropriant un discours dominant sur le monde, les événements récents et la politique menée par les Grandes puissances.
3. Des représentations homogènes
Une fois de plus, on peut s’apercevoir que les représentations des enseignants coïncident fortement avec celles des manuels d’Histoire.
Causalité. Les Américains lancent la bombe pour une raison fondamentale : mettre à terre le Japon et donc mettre fin au conflit plus rapidement qu’avec des moyens de guerre classiques et donc économiser des vies humaines – américaines et même japonaises. Causalité linéaire, unique et exogène. Précisément une utilisation du concept de causalité toujours suspecte en Histoire ! Tellement suspecte que l’on peut conseiller au lecteur de toujours douter dès qu’on tente de lui expliquer des phénomènes historiques avec cette approche de la causalité.
Critique de témoignage, objectivité, vrai et vérité. Comme nous l’avons maintes fois noté, la critique de témoignage[1] qui nous importe n’est pas une critique du document afin de jauger de sa véracité. Car, en définitive, un témoignage nous apprend toujours plus de choses sur le témoin, sa sensibilité, ses parti-pris que sur les faits eux-mêmes si on ne croise pas ce témoignage avec d’autres. Croisement, c’est à dire confrontation non pas pour confondre les faux témoignages et repérer le témoignage objectif ou porteur de la vérité mais parce qu’une situation politique, économique, culturelle… est toujours complexe, faites de plusieurs facettes avec des intérêts, des conceptions, des interprétations contradictoires et complémentaires, convergentes et divergentes. Ce sont des couples dialectiques qu’il s’agit de cerner, d’une part pour comprendre ce qui s’est passé et, d’autre part pour former nos élèves et nos stagiaires à être des enseignants d’Histoire.
Finalement, même au 20ème siècle, même quand les Etats concernés sont de grandes puissances, le point de vue du vainqueur reste dominant mais surtout il demeure le seul à être pris en compte.
4. La situation-problème : Hiroshima : pourquoi la bombe ?
4.1. Tableau synoptique de la démarche
Temps |
Groupes de travail |
Objets de travail |
15 m | Emergence des représentations sociales à l’aide d’une consigne : Dites tout ce que vous savez d’essentiel sur la bombe d’Hiroshima en 3 minutes. Socialisation. | Représentations sociales des participants. |
Phase 1 : Réactions des différents protagonistes à l’annonce de la nouvelle
Les différents groupes prennent connaissance de la chronologie. Chaque groupe, à l’aide de ses documents et de ce qu’il croit savoir, tente de présenter le point de vue de son Etat quelques heures ou quelques jours après le lancer de la bombe d’Hiroshima. Il repère ses alliés, ceux qui ont la même appréciation de la portée de l’événement et de ce qui l’a motivé. |
||
30 m | Groupe Japon | Présentation de chaque groupe qui fait un rapport en utilisant le moyen de son choix (mime, jeu de rôle, dessin, texte, etc.). Ces moyens peuvent bien entendu, être combinés. |
Groupe URSS | ||
Groupe GB | ||
Groupe USA | ||
Phase 2 : Que se cache-t-il derrière cette précipitation à jeter la bombe ?
Les contradictions internes à chaque groupe et entre Etats se précisent. Deux membres de chaque groupe, deux diplomates (sauf les Japonais, présents mais silencieux) présentent le point de vue de leur pays. |
||
60 m | Groupe Japon | Préparation et jeux de rôle. Chaque groupe est présent par le biais de deux diplomates. Le Japon est absent et ne prend pas la parole. Il a seulement eu le droit de dépêcher des observateurs qui sont dans la salle. |
Groupe URSS | ||
Groupe GB | ||
Groupe USA | ||
Phase 3 : Formalisation et théorisation, conclusion. | ||
45 m | Groupe diplomates | Rédaction d’un document pour chacun de ces groupes tentant de répondre à la question : « Pourquoi la bombe d’Hiroshima ? »
Lecture de ces documents et discussion sur les concepts relevés en début de ce chapitre |
Groupe Japon | ||
Groupe URSS | ||
Groupe GB | ||
Groupe USA | ||
Phase d’exploitation des concepts généraux et particuliers en jeu dans cette démarche. (1 heure à 1 journée)
|
4.2. Chronologie [2] pour tous les groupes

4.3. Les documents des groupes – phase 1
- Groupe Etats-Unis

- Groupe Japon
- Groupe Angleterre, phase 1

- Groupe URSS
4.4. Les documents des groupes – phase 2
- Groupe Japon

- Groupes USA et Angleterre

- Groupe URSS

4.5. Phase 3
La troisième et dernière phase est un moment capital parce qu’il permet à chaque groupe (les groupes « Etat » comme les groupes de diplomates) de prendre distance avec le jeu et de revenir vers les documents riches de celui-ci. Cette prise de distance est nécessaire pour que soient digérées toutes les informations apportées par soi comme par les autres groupes et de réfléchir à l’événement « bombe d’Hiroshima ». C’est un moment d’écriture parce que nous pensons que l’écriture est un moment qualitatif différent de celui de la parole, qu’il est celui de la formalisation, de la conceptualisation. Or sans ce moment, les deux premières phases n’auraient pas été inutiles, ni moins efficaces qu’un cours magistral, mais ne trouveraient pas leur aboutissement. Nous avons déjà écrit que nous n’étions pas contre la structuration des matériaux historiques mais contre le fait que cette structuration était le produit exclusif d’autrui et qu’il était proposé aux élèves comme un prêt à penser.
Et donc, c’est à cette occasion d’explicitation des événements en question que l’enseignant va pouvoir mener un travail véritable d’évaluation à la fois des concepts utilisés (et ici celui de causalité est capital puisque le titre du travail lui-même posait la question : « pourquoi la bombe ? ») et des contenus historiques factuels ou informatifs qu’il a fallu dégager de la trame dense qui a été fournie par deux fois. Les concepts à vide ne peuvent être construits et les faits événementiels et contenus historiques sans les mêmes concepts n’ont pas de sens, tout du moins ne peuvent en avoir pour les sujets-apprenants.
Documents pour tous les groupes
Les savants, des apprentis sorciers ?
Doc. 1. Leur ignorance a coûté cher (D’après Peter Wyden, Building the Bomb : What they Didn’t Know Did Hurt, The New York Times, 10 décembre 1984).
Parmi les rapports envoyés d’Hiroshima à l’île de Tinian, à partir du 6 août 1945, l’un d’eux, particulièrement inquiétant, engendra trouble et perplexité. Tokyo Rose, un speaker de langue anglaise avait annoncé à la radio japonaise que les radiations faisaient de nombreux morts et blessés parmi les survivants de l’explosion atomique… Le docteur Ramsey… « fut très surpris ». Au cours des discussions entre les savants qui travaillaient au projet, personne n’avait envisagé le problème des radiations. De toute évidence, la bombe avait fait quelque chose auquel personne ne s’attendait. Quand le docteur Ramsey transmit le rapport sur les décès et les maladies causées par les radiations, ses supérieurs scientifiques, et leurs chefs militaires rejetèrent l’information, en la qualifiant de « canular ou de propagande » parce que ne correspondant « à aucune expérience connue ici ». Pendant les années qui suivirent, on en apprit beaucoup sur les effets radioactifs mortels de la « bombe ». Nous commencions tout juste à apprendre combien ils étaient irrémédiables.
Les savants et les politiciens en savaient peu sur la bombe quand ils décidèrent de l’utiliser. Leur ignorance conjuguée et leur réticence à prendre des dispositions afin d’en savoir plus eurent des conséquences.
J’ai récemment visité à Hiroshima « l’Hôpital de la Bombe A », avec ses 170 lits où des victimes continuent à mourir 39 ans après leur exposition à ce qui fut qualifié de canular…
Doc 2. Les Hibakusha
HIBAKUSHA est le nom donné aux personnes irradiées dans le bombardement. Au 31 mars 1976, on recensait officiellement 364 261 Hibakusha parmi lesquelles, une sur cinq aurait, un état de santé « anormal » selon le ministère de la Santé. De plus, les atteintes chromosomiques peuvent engendrer des malformations génétiques avec deux, trois générations de décalage ou davantage. Le bilan complet ne sera donc jamais établi.
On les appelle les hibakusha ; ils sont environ 100 000 à Hiroshima et un peu plus dans le reste du pays, surtout autour de Nagasaki (…).
Les hibakusha souffrent d’un mai étrange et difficilement définissable que l’on a baptisé «burabura» : «la maladie du rien‑faire ». On ne guérit pas de la « burabura » ; le ministère de la Santé japonais a été obligé de classer les hibakusha comme invalides, au même titre que les leucémiques (…).
Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que les hibakusha soient généralement névrosés et prennent la moindre indisposition pour le signe avant‑coureur d’un mal incurable ; incapables de profiter du présent, ils vivent dans la peur de l’avenir. Beaucoup d’entre eux sont tellement obsédés par la crainte d’engendrer des enfants anormaux qu’ils renoncent à se marier, se font stériliser ou même, souvent, se suicident.
Le sort des hibakusha, pendant ce temps, reste peu enviable. Souvent malades, toujours fatigués, ils ne peuvent guère travailler et vivent souvent dans une demi-misère. Très peu d’entre eux sont capables de garder un emploi permanent ou d’effectuer un travail fatigant. D’autre part, ils sont en butte à la méfiance, sinon à l’hostilité de leurs concitoyens dont beaucoup croient encore que le « mal atomique » est contagieux. Non seulement on n’épouse pas les hibakusha, mais on évite tout contact avec eux. Bien que cette discrimination ne soit pas officielle, ils se trouvent plus ou moins exclus de certaines installations publiques, en particulier les établissements de bains.
L’effet de dissuasion ?
Doc. 1. d’après Claude Delmas, La bombe atomique, Bruxelles, Éditions Complexe, 1985, pp. 168‑169.
L’effet le plus visible de l’armement nucléaire a été de dissuader les deux Grands de la guerre totale, de rendre improbable le déclenchement d’une guerre totale en tant que telle : l’effort pour ne pas mettre à exécution la menace que l’on brandit, et qui s’explique par la démesure des armes disponibles, a modifié le jeu diplomatique, car il y a moins que jamais proportionnalité entre les moyens de force d’un État et sa capacité d’imposer aux autres sa volonté, entre force et sécurité. Une autre différence entre l’âge nucléaire et les âges pré-nucléaires est illustrée par le coût d’une guerre totale, c’est‑à-dire menée avec toutes les armes disponibles jusqu’à la victoire absolue. Désormais un État peut être détruit, une population exterminée au cours des hostilités sans qu’ils aient été auparavant désarmés. La seule défense est la capacité de représailles. Mais si une guerre totale déclenchée en tant que telle est improbable, un risque subsiste, celui d’une ascension aux extrêmes, c’est‑à‑dire de l’amplification apocalyptique d’une guerre qui, limitée à son point de départ, s’aggraverait par l’emploi d’armes nucléaires tactiques de plus en plus puissantes, puis d’armes nucléaires stratégiques. Mais ce risque est lié à une volonté politique, celle de qui dépend la décision de recours à ces engins, non aux armes elles-mêmes. En ce sens, si la guerre froide n’a pas dégénéré en conflit mondial, c’est parce qu’elle a imposé une nouvelle forme de paix, la paix par la peur. Après la force, puis la foi, puis la loi, la peur a sous-tendu la paix : c’est moins la sagesse ou le respect de « l’autre » qui ont incité les hommes d’État à la prudence et au non-recours à la violence que la crainte des conséquences, pour eux‑mêmes, de l’inéluctabilité des représailles qu’en tout état de cause l’agressé resterait en état d’exercer.
Doc. 2. La Croix, 6 août 1985.
A Washington, deux chercheurs, Arjun Makhijani et John Kelly, viennent d’affirmer que le président Harry Truman et d’autres responsables américains ont fait état de chiffres « très exagérés » quand ils ont déclaré que le bombardement atomique du Japon avait sauvé les vies de 500 000 à 1 000 000 d’Américains.
Un premier document, préparé par l’état‑major interarmes américain, estimait qu’une invasion du Japon entraînerait la mort d’environ 40 000 soldats américains et ferait 150 000 blessés.
Un second rapport, remis le 18 juin 1945 à Harry Truman, estimait que « l’invasion de la plaine de Tokyo » serait « relativement peu coûteuse ».
Doc 3. 40 ans de paix, de paix? Des guerres par centaines ! (Croissance des Jeunes Nations, mai 1985).
( … ) La paix dont nous parlons n’est qu’une non‑guerre entre grandes puissances. Cette situation, baptisée selon les moments de « guerre froide » ou de « détente », est caractérisée par des affrontements permanents et complexes. Glaciations et réchauffements se succèdent périodiquement, conduisant le monde au bord de l’abîme : en 1950, lors de la guerre de Corée, en 1962, au moment de la crise des fusées à Cuba…
Enfin, cette paix n’est pas la paix pour tous. Ce n’est que par un nombrilisme hexagonal de grande puissance que nous parlons de paix mondiale. Si « l’équilibre de la terreur» a préservé la tranquillité des Grands, il n’a pas empêché ce qu’on appelle hypocritement des guerres localisées aux points chauds du globe, dans ses régions stratégiques. Les Français auraient‑ils déjà oublié la guerre d’Indochine ou celle d’Algérie, pour ne rappeler que leurs principales « interventions » outre-mer ?
( … ) En mai 1985, comme il y a plus de quarante ans, la guerre tue toujours.
Depuis 1945, selon les définitions et les sources, on dénombre entre 140 et 300 guerres. «Pas un seul jour, l’homme n’a été épargné par ce fléau, et rares ont été les oasis de paix et de tranquillité».
Ces oasis qui n’ont pas souffert de la guerre sur leur territoire se résument à l’Europe occidentale, à l’Amérique du Nord, à l’Australie et au Japon. Ailleurs, on estime entre 12 et 35 millions le nombre des morts causés par ces divers conflits.
5. Phase d’exploitation
Toute phase d’exploitation comprend trois moments distincts et incontournables.
- Le retour sur les événements historiques, car les élèves ou les stagiaires ne peuvent être disponibles si des pans de la situation historique restent obscurs et si la construction des savoirs en cause n’est pas suffisamment avancée pour qu’ils se pensent être en situation de réussite. Cette phase, à notre avis, doit être directement articulée sur le vécu des participants et ne pas être ni éludée ni différée dans le temps.
- L’analyse de ce qui s’est passé, c’est à dire : qu’ont-ils construits et comment s’y sont-ils pris ? Cette question inclut, bien entendu, la conduite d’animation de l’animateur ou du professeur. Cette activité de métacognition n’a évidemment d’intérêt que si la précédente a été menée à bien.
- Si cette situation-problème est utilisée pour la formation d’enseignants, alors une discussion s’engage au cours de laquelle les enseignants sont déjà en train d’essayer de transposer ce qu’ils ont vécu dans les cours qu’ils dispensent habituellement et se trouvent engagés dans un processus d’imagination concrète qu’il faut transcender en créant de longs moments d’invention de leurs propres situations et démarches d’auto-socio-construction.

6. Bibliographie
- BARKAN J., 1998, Avant Hiroshima. La confession de Muruayama Kazuo, Editions de l’Aube.
- FERRO M., Collectif sous la dir. de, 1986, Hiroshima, la bombe, coll. Les Médias et l’événement, Documentation française.
- HERUBEL M., 1998, Hiroshima, Presses de la Cité.
- JESPERS W. et PIERART P., 1995, D’Hiroshima à Sarajevo. La bombe, la guerre froide et l’armée européenne, EPO.
- NAKAZAWA, 2000, J’avais six ans à Hiroshima, Cherche Midi.
- TODESCHINI M., 1997, Hiroshima, coll. Mémoires, Autrement.
[1] Bassis Henri, 1984, Une démarche complexe d’apprentissage, dans Quelles pratiques pour une autre école, La critique de témoignage, coll. E3, CASTERMAN, p. 15-18, ainsi que Dalongeville Alain, 1995, Former à la critique de témoignage, dans Enseigner l’Histoire à l’école, coll. Pédagogies pour demain, HACHETTE EDUCATION, p. 94-104.
[2] L’essentiel des documents ont été tirés de : Hiroshima, la bombe, collectif sous la dir. de M. FERRO, 1986, coll. Les Médias et l’événement, Documentation française, malheureusement épuisé. C’est cet ouvrage qui nous a donné l’idée de ce travail.
[3] Staline s’engage à Yalta à entrer en guerre contre le Japon trois mois après la défaite de l’Allemagne. La contrepartie de cet accord était que l’URSS conservait les territoires polonais et baltes annexés en 1940 grâce au pacte germano-soviétique ainsi que quelques territoires en Asie dont les îles Kouriles et le sud de Sakhaline.
[4] Général MARSHALL (George Catlett): 1880‑1959. Général et homme politique américain. Chef d’état major de l’armée américaine, il participe aux côtés du président Roosevelt, puis du président Truman aux conférences de Yalta et de Postdam. Il démissionne de l’armée en novembre 1945 pour entamer une brillante carrière politique. Nommé ambassadeur en Chine à la fin de l’année 1945, il deviendra secrétaire d’État en janvier 1947. Participe à l’élaboration de l’O.T.A.N. Initiateur du plan Marshall de reconstruction de l’Europe. Prix Nobel de la paix en 1953.
Un commentaire
Les commentaires sont fermés.